Saison 2 – 4 – Marianne DURANO « Enfanter en temps d’effondrement. Des Pères de l’Église à Miche Foucault »

Conférence de Marianne Durano – corpus de textes ci dessous :

MARIANNE DURANO – Lyon 14 Décembre 2024
ENFANTER EN TEMPS D’EFFONDREMENT Des Pères de l’Élise à Michel Foucault
Corpus de textes

Évangile selon St Matthieu, chap. 24, 15-13

Alors viendra la fin. Lorsque vous verrez !’Abomination de la désolation, installée dans le Lieu saint comme l’a dit le prophète Daniel – que le lecteur comprenne ! – alors, ceux qui seront en Judée, qu’ils s’enfuient dans les montagnes ; celui qui sera sur sa terrasse, qu’il ne descende pas pour emporter ce qu’il y a dans sa maison ; celui qui sera dans son champ, qu’il ne retourne pas en arrière pour emporter son manteau. Malheureuses les femmes qui seront enceintes et celles qui allaiteront en ces jours-là̀ !

Évangile selon St Luc 23; 27

Le peuple, en grande foule, le suit, ainsi que des femmes qui se frappent la poitrine et se lamentent sur Jésus. Il se retourne et leur dit : – Femmes de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Car voici, des jours viendront où l’on dira : Heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n’ont point enfanté, et les mamelles qui n’ont point allaité !

Cicéron, De Finibus, Ill, 19, 62-63

Une chose essentielle, selon les Stoïciens, est de bien se mettre dans l’esprit que c’est la nature qui crée l’amour des parents pour leurs enfants, tendance première qui a servi de point de départ à cette union, dont nous suivons les progrès, du genre humain en sociétés. Tout d’abord il est impossible de ne pas avoir cette idée quand on voit la configuration et les organes des corps, dont l’aspect suffit à montrer que la nature a eu égard au fait de la reproduction. Or il serait forcément contradictoire que la nature voulût la reproduction des êtres et ne fit rien pour que les êtres reproduits fussent l’objet d’une affection. Même chez les animaux se peut très bien remarquer cette action de _la nature : à voir la peine qu’ils se donnent pour mettre au monde et pour élever leurs petits, il semble que l’on entende la voix de la nature elle- même. (…) De cet instinct dérive aussi un sentiment naturel commun à tous les hommes, qui les intéresse les uns aux autres et qui fait qu’un homme, par cela seul qu’il est homme, ne peut absolument pas être un étranger aux yeux d’un autre homme.

Clément d’Alexandrie, Stromates, livre Ill, 3

Les Marcionites sont allés plus loin. Ils disent que la nature est mauvaise, et d’une mauvaise matière, quoique sortie des mains d’un Créateur juste. C’est pourquoi ils refusent de peupler le monde, œuvre du Créateur, et veulent que l’on s’abstienne du mariage, faisant profession ouverte de résister à leur Créateur et de tendre vers l’être bon qui les a appelés, et non vers celui qui est Dieu, disent-ils, d’une autre manière. Et par suite de cette résistance, pour ne rien omettre sur ce point de tout ce qui est en leur pouvoir, ils embrassent la continence, non par estime pour elle, mais par haine pour le Créateur, et pour ne point user de ce qui a été créé par lui. Toutefois, ces mêmes hommes, auxquels leur guerre impie contre Dieu a fait perdre tous les sentiments naturels, ces mêmes hommes qui méprisent la patience et la bonté de Dieu, quoiqu’ils refusent de se marier, usent cependant des aliments créés et respirent l’air du Créateur; eux-mêmes ils sont l’ouvrage de ses mains et demeurent parmi ses œuvres. Ils annoncent, disent-ils, une doctrine nouvelle : soit, mais au moins qu’ils remercient donc le Seigneur d’avoir créé le monde, puisque c’est dans le monde du Créateur qu’ils ont reçu le nouvel Évangile. Nous les réfuterons pleinement lorsque nous arriverons à la question des principes.

Clément d’Alexandrie, Stromates, livre Ill, 6

Mais, puisque la copulation chamelle est chose infâme, a leur avis, nés qu’ils sont de la copulation charnelle, comment ne seraient-ils pas eux-mêmes des infâmes ? Il me semble. au contraire, que pour ceux qui ont été sanctifiés, le germe d’où ils sont sortis est saint. Chez les Chrétiens, en effet, non seulement l’esprit, mais les mœurs, la vie et le corps doivent être sanctifiés. Pour quelle raison l’apôtre Paul dirait-il « que la femme « est sanctifiée par le mari et le mari par la femme?


Première Épitre à Timothée, 4, 1-4

L’Esprit dit clairement qu’aux derniers temps certains abandonneront la foi, pour s’attacher à des esprits trompeurs, à des doctrines démoniaques ; ils seront égarés par le double jeu des menteurs dont la conscience est marquée au fer rouge ; ces derniers empêchent les gens de se marier, ils disent de s’abstenir d’aliments, créés pourtant par Dieu pour être consommés dans l’action de grâce par ceux qui sont croyants et connaissent pleinement la vérité. Or tout ce que Dieu a créé est bon, et rien n’est à rejeter si on le prend dans l’action de grâce.

Michel Foucault, Les Aveux de la chair (Gallimard, 2018), p. 28

On peut mieux comprendre la distinction apparemment un peu arbitraire que Clément introduit entre le fait de la progéniture qui doit être le « but » des rapports sexuels et a valeur de la descendance qui doit en être la « fin ». Celle ci constitue bien un achèvement – teleiôtes – pour le procréateur, comme le disaient les stoïciens : il y achève ce pour quoi la nature l’a fait et qui le lie, à travers le temps, aux autres hommes et à l’ordre du monde. Mais cette « belle descendance » qu’avec l’aide de Dieu l’homme a fait naître, Clément montre qu’elle constitue pour Dieu un objet digne d’amour et une action de manifester sa bonté. Subordonnés au « but » de la « fabrication d’enfants », puis, au-delà, à une finalité qui rejoint celle de la Création tout entière, les rapports sexuels doivent être soumis à une « raison », à un Logos qui, présent dans la nature toute entière et jusque dans son organisation matérielle, est aussi la parole de Dieu.

St Augustin, Cité de Dieu, XIV, 24

« L’homme aurait semé et la femme aurait recueilli, quand il eût fallu et autant qu’il eût été nécessaire, les organes n’étant pas mus par la concupiscence, mais par la volonté.(…) Ne voyons-nous pas certains hommes qui font de leur corps tout ce qu’ils veulent? Il y en a qui remuent les oreilles, ou toutes deux ensemble, ou chacune séparément, comme bon leur semble (…) il s’en trouve même qui font sortir par en bas, sans atJcune ordure, tant de vents harmonieux qu’on dirait qu’ils chantent. J’ai vu, pour mon compte, un homme qui suait à volonté. Puis donc que, dans la condition présente, il est des hommes à qui leur corps obéit en des choses si extraordinaires, pourquoi ne croirions-nous pas qu’avant le péché et la corruption de la nature, il eût pu nous obéir pour ce qui regarde la génération ? »

StAugustin, Cité de Dieu,XIV,1

Dieu voulant non seulement unir les hommes en une seule société par la similitude de la nature, mais grâce aux noeuds de la parenté les rassembler en une harmonieuse unité dans les liens de la paix, a institué l’humanité à partir d’un seul homme. Cette humanité en chacun de ses membres ne devaient pas mourir.

Michel Foucault, Les Aveux de la chair (Gallimard, 2018), p. 310

Augustin ne rapporte donc plus la valeur du mariage à ce bien absolu de la virginité qui marquait l’état initial de l’humanité et le point ultime du temps : il la rapporte à la fin universelle et constante de la societas. Et si le mariage n’a pas toujours eu la même forme, ni le même rôle, ni les mêmes obligations, s’il ne s’est pas toujours opposé de la même façon à la virginité, c’est qu’avant et après la chute, avant et après la venue du Sauveur, le genre humain n’a pas cheminé de la même façon vers la cité future.

Ci dessous – les échanges avec les membres du séminaire de théologie politique Diognète (La première question souffre d’une distance face au micro, mais les suivantes sont plus audibles).


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